Si tu n'étais pas dans un autre pays je t'appellerai à l'instant et tu serai obligé de me dire, de me raconter, ce que ça fait d'être amoureux, moi j'ai oublié, je ne sais plus depuis toi, je ne sais pas comment j'ai réussi mais c'est comme ça, tu comprends, tu vois, j'ai l'épiderme à démangeaisons et je veux le dire, en parler avec toi, bordel, je veux m'asseoir là et en parler avec toi, j'ai retrouvé cette image de nous il y quelques jours et je la laissais traîner sur mon bureau comme si de rien, mais ce n'était pas rien, elle était posée sur le dessus de mon bazar pour que je puisse la voir, vérifier du coin de l'oeil, vérifier la sensation que j'ai eu quand elle m'est retombée dans les mains, cette seconde où cette photographie m'a transpercée. C'est une image banale, elle n'est pas particulièrement belle, je ne l'ai jamais accrochée nulle part, elle ne fait pas partie des souvenirs qui ont été exhumés mille fois, alors elle m'a surprise, prise de court : deux personnes se photographiant dans le couloir, comme ça, sans raison aucune. Deux personnes qui s'aiment, mais surtout deux personnes qui se connaissent, qui partagent une intimité, c'est ça qui m'a coupé le souffle. À qui je dirais, aujourd'hui, pendant qu'on enfile nos chaussures pour aller flâner le long du canal "Ah attends, viens on fait une photo", à qui ?
Si tu n'étais pas dans un autre pays je t'appellerai parce que j'aimerais que précisément toi, tu répondes à mes larmes, à mes doutes, à ma solitude, que précisément toi, tu me racontes ce que ça fait d'éprouver l'amour.
Bordel, prends moi dans tes bras, serre-moi, dis "oyeeee" quand je fais ma moue de gamine perdue,
me laisse pas, c'est pas juste, je veux danser aussi autour du feu de camp,
je veux être triste avec des gâteaux au chocolat et vos genoux pour m'allonger dessus
ça fait deux ans que ça faisait trois ans et vous n'êtes pas là
je ne suis pas là
bordel