# Le journal des 36
( 2 0  n o v  2 0 1 7  -  2 6  d e c  2 0 1 7 )



(lundi) 20 novembre #1 


(19:45) Je vais à la répèt de théâtre. La semaine dernière, même jour même heure, j'étais pareille : assise dans le métro. Sept jours. Cela me semble pourtant remonter à une éternité. J'ai l'impression d'user plusieurs vies au mètre carré.
J'ai envie de retenter l’exercice du journal obligatoire, mais j'ai du mal à me décider sur le nombre de jours. Peut-être 36.
Il se passe quoi en toi quand tu vieillis ? Moi je crois que je vois les contours de ma vie plus nets. Est-ce que ça m'amène quelque part ? Est-ce que ça fait de moi une personne différente ?
J'ai pendant plusieurs jours écrit réécrit raturé ruminé une lettre dans ma tête pour mon frère. J'ai finalement lâché prise et rien écrit du tout. Il y avait un tel cri de colère en moi, je lui aurai mis des coups dans la cervelle.
Tout cela est-il nécessaire ?
Est-ce cela, ma sagesse ?
Si je me lance dans ce journal des 36, aurai-je autre chose à y témoigner que ma déchéance de l'hiver ?
Qu'est-ce qui m'habite ?
Il y a-t-il des étincelles ?




(mardi) 21 novembre #2 


(18:05) Il a fait l'amour. Plusieurs fois fait l'amour. Je ne suis pas jalouse. Je suis déçue. Triste, peut-être. Amère, peut-être. Plusieurs fois fait l'amour. En ce moment, où c'est si souvent tout à l'envers à ses intérieurs, en ce moment où je me suis mangé des secousses à ses récits personnels,  alors oui, justement, en ce moment, certainement. Ou le fruit du hasard. En plein dedans quand j'ai l'impression de marcher sur des oeufs, de devoir faire attention, de devoir être exemplaire. Plusieurs fois fait l'amour, c'est la première fois, ah. Ça me fait une belle jambe de bois. Je ne veux pas de son regard d'enfant mort de trouille qui a besoin d'être rassuré, qu'il se démerde avec ses insécurités, j'ai le droit d'être surprise, d'être soufflée, d'être distante, de le vouloir ailleurs.




(mercredi) 22 novembre #3 


(15:49)  Tout à l'heure, frustrée que l'on m'ait posé un lapin, pas encore tout à fait remise des émotions de la veille, je rumine dans mon lit, saoulée. J'ai de la rancoeur en travers de la gorge, je me demande comment passer outre, sortir de mes draps, démarrer ma journée, faire quelque chose. Je sens lentement les pédales se dérober sous mes pieds, je commence à mouliner dans le vide et mon corps se tend petit à petit de chaleur. Et quand ça commence à irradier comme ça, il y a toutes les chances du monde pour que je finisse en crise d'angoisse-pleurs, que je apnée-douleure-larme-tremble-suffoque-... sans fond, sans trêve, sans contrôle. Et comme à tous les coups c'est l'amoureux qui viendrait me sauver du désespoir et que j'essaie précisément d'épargner l'amoureux, tout à coup, c'est la panique. Je ne suis pas encore sûre de la crise qui arrive mais ce serait trop bête de réagir trop tard et de se faire avoir, alors je commence à envoyer des messages compulsivement, il faut que je trouve un humain qui me sorte du pétrin, qui fasse diversion à mon gouffre, la température monte, coucou, tu bosses ?, les aisselles brûlent, heyho je vais criser, je fais quoi ?, les premières larmes font leur entrée et je perds souffle, on va manger, rdv en bas dans dix minutes, oh mon dieu le coup de chance intergalactique, je me rue sous la douche avant que mon lit ne m'avale, je me concentre sur le savon comme si ma vie en dépendait, je hoquette comme une machine qui va tomber en ruine mais je sais qu'il ne me faut qu'un sursis de quelques minutes, le temps d'atteindre mon vélo, si j'atteins mon vélo, l'affaire est dans le sac, il faut juste que j'arrive entière jusqu'au vélo.
Et j'y suis parvenue, entière, au vélo. Je respirais comme si j'étais secouée de contractions, mais il ne me manquait rien : organes, clefs, chaussettes, portable, bague, argent. Un mercredi midi sauvé par des amours, qui eux viennent sans doute de mettre les pieds dans un peu de tempête, de trous noirs, d'émotions et de déménagements.

Sacré mercredi, quoi.




(jeudi) 23 novembre #4 


(23:40) Comme elle fut tremblante cette journée, pleine d'angoisses et de larmes avalées, de morve et de regards lointains. Comme elle fut sur le fil, emmêlée, découpée, réassemblée. Un pas vers toi, deux pas vers moi, est-ce qu'on danse ou est-ce qu'on panse ? On a tangué quelques heures au milieu de mes oreillers, et puis petit à petit trouvé la terre ferme à même le matelas, et tu m'as relevée, et je t'ai relevé. J'ai nommé les peurs si grandes que j'ai face à tes douleurs, tu as secoué l'image que tu avais de moi Tu ne t'intéresses pas, on a été chercher dans les confidences une image plus juste : pour avancer la lumière allumée. Oui, le brouillard est là, ton brouillard, il faut que tu l'adoptes, il faut que je l'accepte, peut-être est-ce un petit brouillard de rien du tout sitôt invité si vite envolé, peut-être est-ce un brouillard dense qui nous enveloppera bientôt comme un manteau une écharpe un bonnet - un brouillard de toutes parts, tu ne sais pas, je ne sais évidemment pas, mais peu importe, peu importe tu sais, c'est l'hiver quoiqu'il arrive, quoiqu'il arrive on n'y voit rien à deux centimètres, avec ou sans brouillard Berlin est plongée dans la nuit, tout se fait à la lampe torche, et aujourd'hui, dans cette tremblante journée, on a bien du en démarrer six ou sept, des lampes torches. Donne-moi ta main, je ne te lâche pas, promis, même quand j'ai l'air de ne plus avoir envie je suis derrière toi, j'essaie de garder nos trésors de lumière pour les prochaines heures de doute. A la tienne, amour ! 




(vendredi) 24 novembre #5 


(tard) A l'épicerie en bas
Cherchez quelque chose ? C'est tout ce que vous avez en chips ? Goûtez ceux-là il sont supers !  Oh mais non je voudrais des chips vraiment simples avec juste du sel et rien d'autre  Ah mais ceux là avec du ketchup franchement c'est un délice ! J'ai hésité à répondre que je n'avais encore jamais acheté de ketchup de ma vie. Mais je me suis dit qu'il n'allait pas me croire. J'ai rien dit et j'ai acheté les moins pires des chips, qui sont, tiens, quand même dégueulasses.



(samedi) 25 novembre #6


(-) 



(dimanche) 26 novembre #7 


(tard)  La voisine pleure. Il y a trop d'huile de coco sur ma peau.  J'ai mis un désordre improbable dans l'appartement. J'ai du me laver les cheveux la dernière fois l'an deux après la disparition des dinosaures. Je ne suis pas fichue d'être assise dans des positions qui soient correctes pour mon corps. J'ai trouvé une sucrerie que l'amoureux avait caché en prévision des heures où je crise parce que je veux du chocolat. Je l'ai mangée. J'ai voulu le dire à l'amoureux mais il est occupé. Il est toujours occupé. Il va rentrer à pieds cette nuit. Je suis sûre qu'il n'a ni écharpe ni gants. Il a mal à la gorge. J'ai souvent envie de le rouspéter. Toujours je lui dis dis Mon enfant si d'aventure il arrivait que nous fassions des rejetons ensemble, tu n'aurais plus le droit à l'inconséquence. Sans cesse oublier son écharpe en hiver, c'est inconséquent. Quand on a mal à la gorge, c'est archi inconséquent.



(lundi) 27 novembre #8 

(tard) J'ai eu parfois des carnets où je notais des faits journaliers, des rendez-vous. Vu x - discuté de - travail 10h-18h - 15h lavomatic. J'ai parfois tenu des archives de rêves. J'ai aussi écrit des journaux de relations amoureuses. Tout cela, jamais longtemps, tout cela, toujours en creux, avec beaucoup d'absences. Mais j'ai sur papier certaines périodes courtes, en fragments. Fragments de nuits, fragments de temps, fragments de sentiments. C'est toujours assez improbable de les retrouver. En ce moment, je me dis que je devrais faire un journal de l'amoureux. Garder une trace des discussions. On oublie si vite le chemin parcouru. On s'enquille des kilomètres par respiration. Tout va tellement loin. Il y a tant de puissance dans l'humanité depuis cet automne. De profondeurs à porter. Aujourd'hui, sur mon matelas, énième discussion. Pourtant, il reste sans cesse de nouveaux mots à explorer, de nouvelles choses à nommer, comme si le terrain entre nous était si vaste, infini, changeant, on se retrouve au milieu et on se raconte : ce que l'on voit, ce que l'on perçoit, ce que l'on espère. Impossible donc de se lasser, il y a multitude à étiqueter. On étiquette les peurs les ressentis les idées les directions. Je me demande : nous souviendrons-nous de tous ces événements dans quelques mois ? Aurons-nous conscience de tous ces centimètres parcourus ? De la force qu'il nous a fallu ? De ces heures de concertation, d'intense concentration ?
Cette marche avec l'amoureux est précieuse. Il y a tant de dignité et de calme entre nous. Je m'en étonne toujours.



(mardi) 28 novembre #9

(22:10) Toute la journée, j'ai trollé. L'entière journée. Au début, bien sûr, je craque, je sue, je suinte et l'amoureux doit me remettre sur pieds. Et puis à un moment, je lâche prise, je laisse voguer mon clavier, et avec subtilité, je joue entre les lignes, parfois sérieuse souvent volontairement très très très très à côté. J'ai tellement ri. Douce ivresse.



(mercredi) 29 novembre #10


(11:38) Tout l'hiver, tu te mets la pression, il faut sortir du lit le matin, aller dehors récolter six misérables secondes de soleil, compter trois points d'énergie au spectre lumineux du jour. Tout l'hiver, tu sors à la nuit tombée, tu te rouspètes, te dis que t'es une moins que rien, pas fichue d'être à l'extérieur aux bonnes heures. On ne va jamais rien faire de toi ma pauvre fille. Et puis un jour par hasard tu es là contre le bitume et il est si tôt à tes habitudes. Il est 11h30 et un soleil de novembre cogne au ciel. C'est là que tu comprends que peu importe l'énergie que tu as ou n'as pas pour la chasse au trésor de la précieuse vitamine D, ce sera toujours l'hiver qui gagne. C'est là que tu comprends que peu importe, tu n'as aucune chance. Il est 11h30; il n'est pas encore midi, le ciel bleu claque comme un étendard, et pourtant, déjà à cette heure, le soleil est passé derrière les immeubles, les trottoirs sont baignés d'ombre. Ainsi, pour avoir quelques minutes de lumière directe sur ta peau, il faudrait louer une montgolfière. Tout ceci est un jeu de traître.



(jeudi) 30 novembre #11


(-) 



(vendredi) 1er décembre #12


(22:32) Depuis plusieurs jours je me réveille le matin sans voix, au bout d'un moment j'ai un son qui me racle la gorge, un peu comme un convoi qui déraille lentement. La journée prend forme et je peux à nouveau parler, c'est souvent un habile jeu entre chuchotements et confidences d'outre-tombe. Demain c'est samedi et samedi c'est service du matin, je retourne au café pour la première fois depuis dix jours, je vais prendre un malin plaisir à faire le service avec ma voix des cavernes.

 


(samedi) 2 décembre #13


(23:51) J'ai déplacé les meubles et redécouvert ce polaroid de nous cinq accroché dans la cuisine. On est debout dans la brume des bords de Loire  et on dirait l'affiche d'un groupe  à succès en tournée mondiale. Toi, point central à roulettes. Nous, autour, si jeunes. Tu es si beau, sur cette photo, papa. La classe est brodée à même ta silhouette. Le flegme de ton humour, je t'entends encore enfiler mon bonnet de lutin rouge en soupirant. Un râle si connu, quelque chose comme putain elle fait chier, lâché sur une expiration. Et pourtant, sous les traits d'ours grognon, l'esquisse d'un clown qui ne se dévoile pas. Le gag jamais assumé, jamais dit. Jusqu'au bout : joué comme à contre-coeur. C'était ton truc; mettre à jour cette image dans la cuisine m'a mis un coup. J'aurai aimé te photographier plus, papa. Il y a pleins de portraits que j'aurai aimés faire, de déguisements de grimaces que j'aurai aimé te faire enfiler, parce que tu es beau papa, tu méritais plus de selfies que ça.



(dimanche) 3 décembre #14


(tard) Tout peut tellement devenir un drame. Je me suis touchée, il m'a touchée, on m'a touchée. Et oui, mon clito m'a fait mal, et oui, après, ma vulve me brûle. Oui, c'était un gros loupé, mais comme la soirée entière, de fait. Oui, ces sensations désagréables m'ont rappelé toutes les fois dans ma vie où j'ai baisé sans le vouloir, sans avoir de désir, sans avoir conscience de mon corps. Toutes les fois où personne ne s'est n'ont plus vraiment intéressé à moi, où les choses se sont faites mécaniquement, parce que c'est comme ça qu'on les fait, parce que c'est comme ça qu'elles doivent être faites, on s'embrasse on se déshabille on nique. Toutes ces fois là mon clito me tirait de douleur et ma vulve était en feu, oui. Mais c'est devenu un tel drame, ce soir. Les murs sont tombés les uns après les autres dans ma tête et je ne pouvais plus parler, j'avais les poumons coulés dans le béton, mon coeur me ruinait le fond de l'âme et chaque fois que j'attrapais le début du fil d'une pensée un nouveau mur tombait dessus et me coupait de la suite, les mots courraient dans tous les sens dans ce labyrinthe que je voyais se matérialiser en moi, de mes yeux vus je suivais la danse malade des idées qui n’apparaissaient jamais assez longtemps pour que je les attrape. Tout est tellement propice au drame avec l'amoureux, quelque chose dans notre histoire me touche plus que je n'arrive à l'identifier, ses problématiques personnelles d’identité me font tanguer je crois, je nous emmène souvent dans des conversations plus que profondes, je ne sais plus toujours si c'est de notre fait ou juste du mien, tout peut tellement devenir un drame, ce soir ce n'était certes pas anodin ces sensations désagréables mais les racines de la soirée sont ailleurs, elles sont dans mon lien à l'amoureux, dans notre rapport au corps, dans mes danses d'équilibriste depuis quelques semaines, dans ces manières inconscientes que j'ai de me comporter pour compenser, pour compenser, pour compenser, pour compenser les incertitudes les doutes les nouveautés les peurs. Tout peut tellement devenir un drame.



(lundi) 4 décembre #15


(19:50) 
Ce mois de décembre va défiler plus vite qu'une récitation d'alphabet. Les jours déferlent dans les escaliers et je roule au toboggan sans réussir à m'accrocher. Je vole au théâtre, je glisse à la danse, je tombe au café, j'apparais au marché, je rebondis au baby-sitting; j'ai trop prévu, j'ai prévu des paillettes des rideaux des peintures des cadres des images de rénovation au café, j'ai prévu du bois à la cuisine du tissu à l'entrée des cartes à accrocher à la maison, j'ai prévu évidemment des bricolages de Noel en nombre et je me demande à quel collier de quel univers temporel je vais bien pouvoir enfiler tout cela. Il y a des repas il y a des rendez-vous cinéma à caser quelque part par là et il me manque peut-être des demis battements de coeur, des respirations aux croisées des roulements de tambours, quand est-ce que je respire, quand est-ce que je m'ennuie, quand est-ce que je dors, quand est-ce que je soupire ? 



(mardi) 5 décembre #16


(tard) Hier, toute la journée, course de la couture, course course course je finis par m'échouer au théâtre et je rentre à minuit et comme chaque fois quand je rentre du théâtre je ne peux pas m'endormir alors je répare et couds le porte monnaie de l'amoureux jusque 02:30 ce qui n'est vraiment pas une heure pour aller dormir et ce matin tududududu hop saut de lit direct jusqu'à la machine et je finis de coudre le rideau pour le café et je me douche et j'avale un thé, je prends le bus je vais au magasin de bricolage, j'achète du matériel pour la café, j’achète du matériel pour moi, je prends le métro, j'arrive au marché : je mange j'achète des légumes je récupère une cagette de pommes j'achète du tissu pour le café j'achète du tissu pour moi je fais une course pour l'amoureux j'achète un cadeau je vais chercher des rubans. Je prends le métro je vais au café j'installe les trois rideaux avec un collègue je fais des photos je lave les tabliers qui ont leur nouvelles poches à fleurs. Je prends le métro je rentre à la maison je rends la machine à coudre à la voisine je m'active pour finir le meuble de la machine à laver pour pouvoir rendre la perceuse à la coloc du quatrième étage je scie un cadre pour pouvoir rendre la scie à la coloc du quatrième étage. Je mange je m'habille il faut courir au cinéma je renverse toute une boite de bricolage dans le couloir. On monte dans le bus et le retard nous talonne je retouche les photos du café sur mon portable pour les envoyer à ma cheffe, quand j'ai fini, je pose mon portable, je dis à l'amoureux Pardon d'être un monstre je suis tellement stressée je voudrais pouvoir te dire je vais être cool à partir de maintenant mais il y a tant de pression à l'intérieur de moi je crois qu'une brindille peut me faire voler en éclats. Je demande un câlin sur le quai du métro. On va au cinéma on est juste au niveau du temps mais ça va. On se plante de métro, on fait une station dans la mauvaise direction. On court dans les escaliers et mes genoux stoppent tout avec une douleur stridente. On finit par arriver au cinéma, j’achète du popcorn parce que je suis tellement au bout de ma vie que le popcorn ça me semble un bon compromis. Je confie le popcorn à l'amoureux en disant Je le fais toujours tomber alors c'est ta mission. J'ai renversé tout mon popcorn à la projection de 120 battements par minute et je suis traumatisée. On arrive dans la salle, on met mille ans à trouver les copines, on finit par les voir, on va s'asseoir et je pense Enfin, Louise, là, tu respires. L'amoureux pose les popcorns à nos pieds sans me le dire. On se déshabille doucement. Un gant après l'autre, une manche après l'autre, pour ne déranger personne. Je plie mes affaires et pose mon manteau par terre devant moi. J'entends des popcorns tomber. Je regarde l'amoureux. Je lui dis Mais, je t'avais dit tu les gardes parce que je... J'essaie de rationaliser quelques secondes et puis finalement, non, j'ai plus une seule demi-teinte de ressource restante pour tenir alors je craque et je pleure en sanglots les popcorns étalés sur le sol.

  


 
(mercredi) 6 décembre #17


(tard) J'ai le sucre qui me bat le ventre et le bidon gonflé comme un ballon. On dirait vraiment que je suis enceinte de quatre mois, c'est impressionnant. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas eu l'épiderme tendu comme ça, ça fiche légèrement la trouille un corps qui, d'une seconde à l'autre, prend une autre forme.

  


 
(jeudi) 7 décembre #18

(-)

  


 
(vendredi) 8 décembre #19

(tard) J'ai trié mes papiers jusqu'à la dernière feuille pour la première fois de ma vie; avec l'aide précieuse de l'amoureux, cela va de soi. J'ai payé toutes mes factures même celle de l'association de défense de locataires, à qui j'avais rien versé depuis deux ans. Même l’électricité que je fais hurler depuis des mois, même la redevance qui m'écrit On va t'envoyer en enfer, c'est dire. J'ai cousu mes rideaux de cuisine et même un tablier pour le café. J'ai rangé sommairement l'appartement et même lavé 87% de la vaisselle sale. J'ai bu du thé avec un ami et mangé des gâteaux, et même j'ai réussi à manger un truc salé après. J'ai écrit à C. pour qu'elle ma coache sur la lecture de La lettre à un amoureux et même convenu de deux rendez-vous la semaine prochaine. J'ai écrit à trois ami.e.s pour savoir où ielles sont en janvier et commencer à prévoir mon mois en France et même j'envisage du coup de prévoir des dates de lecture. J'ai même retrouvé les textes papier de La lettre à un amoureux et de la Lettre d'une fille à son père. Du coup, peut-on dire que, mis à part le paquet de cookies entier que j'ai mangé en trois minutes et dont le sucre m'a grillé le cerveau pendant trois heures, mis à part cela, peut-on dire que c'est une journée réussie ?


 
(samedi) 9 décembre #20
 
(23:35) J'ai le sommeil qui tempête depuis quelques jours : soit mon corps rouspète de tous les côtés et ne me laisse pas m'endormir, soit mon cerveau roule trop fort et me réveille au milieu de l'obscurité. J'ai les genoux aussi qui tempêtent depuis quelques jours, ils me crient dessus dans les escaliers, me crient dessus quand je m'accroupis, me crient dessus quand je m'allonge, et c'est chaque jour un peu plus pire. Ça faisait si longtemps que mes genoux avaient pas fait un cinéma pareil. Du coup le soir, j'ai les genoux qui me font de la douleur et la fatigue qui ne me cueille pas. Je suis un petit zombie. Je ne risque pas d'aller bien loin dans cet état là, entre les émotions qui font de l'escalade et mon corps qui fait des vols planés, Louise se promène sans filet de sécurité dans le mois de l'année qui la met le plus k-o. Tout à l'heure je suis allée chercher des plantes en dragée qui calment et aident au sommeil, parce que comme d'habitude, j'ai prévu de gérer et de ne pas faiblir. A bon entendeur.

 


 
(dimanche) 10 décembre #21
 
(-)

 


 
(lundi) 11 décembre #22
 
(tard) Hey, papa. Cette après-midi Clémence m'a fait répéter ma Lettre à  un amoureux, et je crois que je vais en refaire des lectures à travers mon mois de janvier. Je ne sais pas si c'est une bonne idée mais c'est une idée. Hey, papa. Au mois de janvier, cela fera 12 mois depuis le dernier mois de janvier. Tu sais, ce mois de janvier où je faisais des photos avec Freddy dans le salon quand ils m'ont dit Louise, ta mère essaie de te joindre c'est important. Hey, papa, je crois que je vais lire la Lettre à un amoureux, comme l'année dernière, certainement une lecture à Lyon, une en Bretagne, peut-être si je trouve un lieu, une à Paris aussi. Mais, papa. Je crois que la lettre que j'ai le plus envie de lire, celle qui sera nécessaire de lire en ce mois de janvier 2018, je crois que c'est la Lettre d'une fille à son père. Je pense que je vais faire cela, et c'est peut-être la pire idée de la terre, mais tu sais comme je suis, je n'ai pas peur d'aller droit dans le mur. Je crois que si certains ont le courage de venir m'écouter, je m'installerai dans la librairie du Fil, le dos à la cheminée comme la dernière fois, mais cette fois-ci avec un autre fil, avec une autre histoire. Et cette fois-ci, je laisserai la passion et les tourmentes de l'amour avec Corny pour enfiler la narration de cette drôle d'histoire qu'a été la mienne, la nôtre, à travers toi, papa. Je t'entends déjà hurler, papa. Mais ne râle pas comme ça, dis-toi plutôt que je te donne rendez-vous si tu le veux bien, et que cela pourrait être un rendez-vous tendre, doux, bienveillant, et oui, certainement, sans doute, un peu remuant. Et si tu ne le sens pas, j'annule, promis.

 


 
(lundi) 18 décembre 
 
(17:55) Du coup, on y est. J'ai tellement couru la semaine dernière que je n'ai plus de souffle. Je suis censée ranger l'appartement puisqu'après je vadrouille un mois et des gens vont occuper les lieux en mon absence, mais. J'ai le corps léger comme un vide et le sommeil qui appuie grave sur mon cerveau. Du coup j'ai lâché prise un peu, je me suis dit, d'accord Louise, c'est un peu la fin, on s'autorise une série et une sieste. J'étais censée pouvoir redémarrer après. Mais non, rien, la lumière m'agresse, mon ventre fait encore et toujours ce bruit de moteur mourant, comme il ne cesse de le faire depuis deux semaines, j'ai envie de manger des frites et de dormir douze heures. Mais il y a 38m2 sens dessus dessous qui me regardent et me disent tic, tac, tic, tac, tic, tac. Je suis tellement, tellement, tellement fatiguée. Si j'éteignais la lumière, je me réveillerai demain.