Jeudi 9 février 2006 à 22:14

La contrescarpe.


J'ai commencé ce roman dans le bus. Avec Camille en fond sonore, pour m'isoler du cahot du véhicule sur la route. J'étais littéralement happée par cette gamine qui dit « J'ai donc pris un bout de papier sur lequel j'ai écrit, en m'appliquant à ne pas faire de fautes, que ma parole s'était noyée dans mon bol de chocolat avec ma tartine beurrée. C'était tellement la vérité qu'à ce seul souvenir, l'odeur grasse du beurre et du lait  m'est revenue en mémoire et que j'ai eu envie de vomir. » En descendant du bus, je n'ai pas pu le quitter. Après avoir failli me rétamer au coup de frein du conducteur, je descendis les quelques marches, et commençait à marcher. A lire surtout, à la lumière des réverbères. La boue du fossé, l'herbe verte, le ciel sombre, la lumière jaune mais si faible, mon ombre. La porte de la maison. Arriver, toujours avec le silence de cette gamine. Son bol de chocolat, sa tartine. Dépasser le paillasson, poser mes sacs, mon manteau, et tout mon fratas sur le banc. Déshabiller une clocharde. Mon père me salue, je sais plus, me parle, de la cuisine. Je suis incapable de répondre. Je me demande si je n'ai pas à mon tour perdu la parole. J'entrevois cela. Je me demande comment une fille comme moi pourrait arrêter de parler. Je rassemble mes souvenirs. Il ne me semble pas avoir prononcé un seul mot depuis que j'ai ouvert ce roman. En fait si, j'ai dit « bonsoir » à celui qui a failli m'envoyer dans le pare-brise, en descendant du bus. Je ne suis donc pas muette. Je me dirige vers l'arrière cuisine pour aller grignoter un prince. Au passage, je crois que j'échange quelques mots avec mon père, je sais plus quoi. Alors que je m'apprête à ouvrir la porte de l'arrière cuisine mon père a dit un truc comme « On a un appris une très mauvaise nouvelle. » Et là, panique, peur. Devant le frigo, j'imagine le truc le pire : Plus de poney. Plus de pré au mois d'août. Plus de Fionamiko. « François est mort. Hier maman est allé le voir. Il est tombé dans le coma deux heures après et est mort très rapidement. On l'a appris hier soir » Putin de merde, putin de merde, je porte la main à ma bouche « meeeeeeeeeeeeeeeeeerde ». Je laisse mon père devant le frigo, j'entre dans l'arrière cuisine. Je pleure. C'est horrible. Irréversible. La mort. Foutue leucémie. Je pense à tout en vrac. Marie, Tom et Emma. Marie, qui sort d'un putanas de cancer du sein, de multiples récidives de la maladie, de multiples opérations, de multiples déprimes et perruques. A peine le sien fini que se déclarait celui de François. Leucémie. D'un rapidité phénoménale. Un week-end une hémorragie dans la bouche. Deux jours plus tard, hospitalisé et tout le tralala. Merde de merde, déjà, la fatalité sur la famille. Merde. Merde. Mais bon. De nos jours, les cancers, leucémie… ça se soigne bien. Pas si bien que ça. Je pleure. J'y crois pas. François ? Mort ? Nan, et pourtant. Pas tant que je l'aimais. Il avait des poils qui ressortaient des oreilles et des trous de nez, et une maladie du cuir chevelu qui saupoudrait ses cheveux de pellicules qui ne m'inspiraient pas beaucoup de sympathie. Mais de la sympathie, j'en avais pour Marie. Et puis, là, d'imaginer Tom et Emma, après le cancer de leur maman, les dures épreuves (parce que très rapides) qu'on été celles de la leucémie de leur papa, et sa mort. Nan, putin, c'est pas possible. Naaaan, bordel. Mais comment ils vont s'en sortir ? Ah. Je n'y crois pas. Je suis là, tout me vient en vrac, les larmes et les miettes de choco, dans l'obscurité de l'arrière cuisine. Quelqu'un pousse la porte. Je tente de la refermer. Ma mère, qui demande à mon père ce que j'ai, qui réponds qu'il vient de me le dire. Alors elle entre. Et elle commence à me parler. A me demander si elle veut qu'elle me laisse seule, et… Je ne la supporte pas, elle me dégoûte, j'ai besoin de mon obscurité, de ma solitude, je veux qu'elle dégage, je ne parviens pas à lui dire, je dois commencer à m'énerver. Elle me demande si je suis en colère, je dis que oui, oui. Elle me prend dans ses bras, j'en envie de vomir, je veux qu'elle me foute la paix, je ne respire plus, je ne bouge plus, je me statufie, j'espère qu'elle va s'en aller. Je me dis que de serrer dans ses bras sa fille totalement immobile ça doit pas être cool, qu'elle va en avoir marre. Mais elle est toujours là, à parler, elle me donne la nausée, elle passe ses mains sur mon visage, mon cœur se presse, c'est horrible. Elle me dit que je n'ai pas besoin d'osbcurité que je peux aller dans la lumière, j'en peux plus, je vais craquer, je dis je monte dans ma chambre. Je sors de l'arrière cuisine, François avec moi, je prends mes sacs, mon fratas de vagabonde. Depuis que je suis entrée dans la maison, j'en toujours eu dans la main le roman. J'arrive dans ma chambre, toujours le roman dans la main, un doigt coincé là où j'ai arrêté ma lecture. Je pleure sur le peignoir jaune de ma grand-mère. J'entends ma mère monter, j'essaies de fermer ma porte, je me débats avec des cahiers qui traînent là, je ferme la porte, je suis dans l'obscurité, ma mère pousse la porte encore une fois, me demande si ça va aller, je réponds que oui, méchamment surement, en colère. Elle s'en va, je suis de nouveau seule et dans l'obscurité, je pleure encore. Marie Emma et Tom. François mort. Ce n'est pas tant sa mort qui me fait pleurer, mais le vide, le trou noir, la spirale d'un chagrin intarissable que cet évènement merdique de chiasse va provoquer chez eux. Je me sens mal, je pense à Virginie, la sœur de ma mère, qui s'est suicidée. Je n'en ai pas été outre ment affectée. Je me dis que ce n'est pas la même chose, je ne la connaissais pas, et c'était une mort volontaire. Sans cesse l'image de Marie revient, cette femme à qui je m'attachais de plus en plus ces derniers temps. Et leur maison, leur salon, et les jouets des enfants. J'ai fini par allumer la petite lampe grise posée sur mon radiateur, j'ai repris ma lecture là où mon doigt était resté. J'ai lu, lu, et encore lu, je me suis laissée happée par le silence profond d'un bol de chocolat et d'une tartine beurrée. Je suis descendue manger. Je ne supportais pas mes frères mon père, j'avais envie de les frapper, je ne supportas pas de manger avec eux, je voulais être seule, et finir mon roman, et du silence, et de l'obscurité. Je suis allée dans la salon, j'ai continué de lire. J'ai fini ce roman, je l'ai fini, il m'a accompagné dans mes pleurs après cette horrible nouvelle. Demain je l'emmenerais au Cdi, je laisserais entre ses pages l'annonce de la mort de François, et de l'immense dégringolade que cela va provoquer chez Marie, Tom et Emma.

La contrescarpe.
Catherine Sanejouand.

François. (n'est plus là)

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://clignotants.cowblog.fr/trackback/468220

 

<< Aujourd'hui | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | Quand on était plus jeunes >>

Créer un podcast