Samedi 11 février 2006 à 18:27

Francois,
m'as-tu vue, hier soir, pousser l'bordel de sous mon velux ? M'as-tu vue poser mon échelle branlante et cassée contre le mur ? M'as-tu vue escalader tant bien que mal cette pauvre issue de secours, avec ma boite d'allumettes et ma contrescarpe dans les mains ? M'as tu vue, assise, pieds nus, sur le bord de mon velux, commencer à lire ma contrescarpe ? C'était pour toi que je la lisais. As-tu vu François, les phares de la voiture à mon père déscendre la ruelle ? As-tu senti la peur qui m'a prise au cou ? M'as-tu vu fermer le velux et paniquer à l'idée de ne pas réussir à le rouvrir ? M'as-tu vu, pour la premiere fois, m'éloigner de mon velux à plus d'un mètre ? M'as-tu vue me cacher derrière le toit de la cuisine ? As-tu senti comme les tuiles craquaient sous mes pieds ? M'as-tu entendu reprendre ma lecture ? C'était pour toi que je lisais. As-tu senti le froid qui engourdissait mes pieds ? As-tu tout écouté de ce que j'ai dis ? M'as-tu pardonnée de ne m'être fiée qu'à ton physique capillaire ? M'as-tu vue crauquer l'allumette ? Mettre feu à ma contrescarpe ? Faire tomber le paquet dans ma chambre ? As-tu vu la flamme s'éteindre ? M'as-tu vu poser ma contrescarpe dans la gouttière ? Puis me contorsionner pour aller chercher le paquet d'allumettes ? As-tu vu comme j'ai eu du mal à remonter sur le bord de mon velux ? As-tu entendu comme je me maudissais d'avoir grossi ? M'as-tu vu remettre feu à ma contrescarpe ? L'as-tu vue brûler ? As-tu senti la douce chaleur qu'elle dégageait, dans le froid de la nuit ? As-tu senti la douce odeur qu'elle dégageait ? As-tu vue cette chaude lueur qui en émanait ? As-tu vu le papier noir dans le fond de la gouttière, encore picoré d'étincelles rousses ? M'as-tu vue, commençant à me contorsionner, pour descendre une dernière fois ? M'as-tu vue, commençant à refermer mon velux ? M'as-tu vue hésiter, me disant que nan, il fallait encore que je te dise quelque chose ? M'as-tu vue chercher, le front plissé ? M'as-tu seulement entendu murmurer Fionamiko ?

Ce matin, je nourrissais mon coeur d'une immense colère contre mes parents pour retenir mes pleurs. J'avais décidé de ne plus pleurer. Mais de me retrouver juste derrière Marie Tom et Emma dans l'église... La petite Emma, son visage baigné de larmes, ses geignements, ses pleurs... La façon dont elle enserrait sa mère. C'était horrible. D'imaginer leur quotidien, sans Lui. Petite gamine, ses yeux, si petits, trop petits pour de telles larmes. Et sa mère qui la berçait. Tom, à côté. Bonhomme qui n'a pas encore compris. Il a eu beau dire au micro que Sa maladie était une sale maladie. Il n'a pas vraiment compris ce que signifiait "Ton papa est mort". Saloperie de leucémie. Quand tu vas comprendre Tom, quand tu vas comprendre... tu vas souffrir bonhomme.

Suivre le corbillar. Et là, un homme se casse la gueule. Se casse réellement la gueule. Il se rétame lourdement par terre. Il n'avait pas vu un plot en béton là, il s'est écrasé au sol, déchiré son pantalon noir. Alors là, circonstance oblige, terrible envie de rire à gorge déployée, d'expliquer au gens que ça, Bénabar l'a écrit, à un ou deux détails près. Envie d'entamer "Le fou rire". Mais Marie est devant, là. Emma, dans ses bras, hurle son désespoir. Par respect, et puis surtout, parce que j'ai les intestins en l'air, je ne chante pas, je ne rit pas. Juste un sourire.

Le cimetière. Le cercueil. Emma pleure, encore, toujours, pauvre petite fille. Son visage sur le cercueil. Oui Emma, ton papa est là dedans. Nan Tom, il n'en sortira plus jamais. Poser une fleur, effleurer le bois, là, ne pas croire que c'est vrai. François ne peut pas être mort. Et pourtant.

François, les heures qui ont suivies ont été douces. A commencer par ce temps. Je me souviendrais du soleil, des oiseaux, de la tièdeur de l'air, de ce jardin que tu aimais tant. De ce pique-nique, de l'ambiance si chaleureuse. Réjouis-toi, cette après-midi a été si réussie. Si heureuse. Car je crois qu'on étaient tous heureux d'être là, ensemble.
Sans toi, évidemment. Y peut-on quelque chose ? Evidemment que nan.
Les enfants qui jouaient comme des fous, Emma et Lina, qui me tournaient autour, à qui je faisais manger de l'herbe. Et puis Tom, si désireux d'apprende à jongler. Mathias, brave Mathias. Quand il s'est mis en colère parce que les adultes parlaient de François en riant, quand il a dit qu'on avait pas le droit, qu'il était mort. Et quand il m'a demandé si je savais que le papa à Tom était mort. J'ai dis oui oui, je sais, tu sais, j'étais là, au cimetière et dans l'église. Ah oui, mais tu sais le papa à Tom il est mort, a t'il répété plusieurs fois. Vive les gosses, j'les admire, ces bouts de gens. Vous direz s'que vous voudrez, ce sont les plus censés de tous. Ce que je regrette le temps de l'enfance.

Pour en revenir à toi, François, je me souviendrais du doux sourire que j'avais, du soleil sur mon visage, de la jonglerie avec les bouchons de lièges...
Et si cela ne te déranges pas, je finirais tout cela par...JOyeux AnnivErsaiRe mOn Côquelicôt.

La Contrescrarpe.

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://clignotants.cowblog.fr/trackback/472182

 

<< Aujourd'hui | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | Quand on était plus jeunes >>

Créer un podcast