Mardi 15 mars 2016 à 15:13

J'ai affreusement mal dormi, j'ai fais la java pendant deux heures dans le lit sans fermer l'oeil, et à 09h58 l'amoureux m'a réveillée en me demandant s'il faisait chauffer de l'eau pour un thé. Comme on n'avait pas mis de réveil et que j'aurais pu rester sous la couette encore des heures, je lui ai fais une grogne de monstre. La journée démarrait mal. 

Emmitouflée dans les oreillers, je me suis rendue compte que Berlin nous faisait un sale coup : un couvercle de grisaille. Quand tu as mangé des mois d'obscurité d'hiver sans fin et que le soleil revient enfin, tu respires, beau et grand, la joie fait des étincelles dans tous les corps passants, les gens courent tout à coup toutes voiles dehors. Quand, au bout de 48h, la ville te reprend ta salade de printemps et s'approche de toi, murmurant Vous reprendrez bien un peu de soupe ?, tu ne tiens pas le coup. Les façades des immeubles reprennent leurs suintantes jérémiades, les poumons redeviennent des abricots secs, on n'y voit même pas clair dans l'appartement, on se croirait dans un début de nuit, on ne distingue rien à 20 centimètres.

Je me suis donc enfoncée, doucement. Je ne suis pas sortie du lit. J'y ai d'abord fait des papotages avec l'amoureux, et puis quand j'ai senti qu'arrivait fatalement le moment où il allait falloir poser le pied sur le parquet, j'ai du me rendre à l'évidence : j'étais devenue une vraie marée noire. Pas juste une mauvaise humeur. J'étais petit poison, j'étais peur panique, j'étais tristesse, j'étais colle dans l'estomac. J'ai essayé de tromper l'ennemi. J'ai demandé à l'amoureux de mettre de la musique, d'allumer toutes les lumières, je me suis dit, Louise, concentre-toi sur le bruit de la vaisselle qu'il lave, pense à du chocolat, la vie n'est certes pas colorée, mais elle est là, sors de ce lit et tiens toi droite.

Les ampoules allumées et la radio ne m'ont pas aidées. Il a fini par me tirer hors du lit et il faisait trop froid. Les radiateurs s'étaient alignés sur le ciel et étaient restés éteints. J'ai atterri sur une chaise dans la cuisine et il m'a dit Allez, viens, dans trois minutes on est dehors.

Oh, merde, Louise, merde, merde, merde, merde.
 Serre les dents. Réfléchis. Tu veux qu'on te fiche la paix, tu veux disparaître du monde, tu veux le fond du fond de ton lit pour toujours. Mais c'est mardi. Si tu ne vas pas au marché aujourd'hui, tu n'auras pas de légumes cette semaine, tu devras aller au supermarché, tu détestes le supermarché, tu t'en voudras. Louise ? J'ai l'estomac en serpillière, une envie de pleurer comme une avalanche, besoin de hurler à l'amoureux comme je n'arrive jamais rien, faire la liste terrible des défaites du quotidien, j'ai du vomi dans le cerveau, des punaises dans la bouche, il faut que je dise comme j'ai mal, que je prenne une grande respiration de larmes, qu'il me console et après, je pourrai sortir. Mais on n'a plus le temps, tu le sais aussi. Il faut que tu t'habilles et que tu sortes. Si tu craques, il y en au moins pour une heure. Ce n'est pas possible, il y a des rendez-vous plus tard. C'est maintenant, Louise. Tu sors et tu as des légumes pour la semaine, ou tu restes au fond de ton lit toute seule. Allez, sors. Je ne peux pas, vraiment, j'en suis littéralement incapable, j'ai une araignée dans l’œsophage et c'est atroce.

La bataille tourniquait dans ma tête et l'amoureux assis en face me souriait, je me demandais ce qu'il voyait de moi, s'il se rendait compte que j'étais prête à exploser en bombe tempête séisme. Je me suis levée, je lui ai fais signe de marcher devant. Il est allé au couloir et a commencé à enfiler sa veste.

Je me suis arrêtée devant les étagères et j'ai pris le verre auquel je pensais depuis une minute, à gauche de la machine à laver. Je l'ai lancé de toutes mes forces contre le sol, j'ai senti l'amoureux sursauter dans mon dos, le verre il a rebondi et ne s'est pas brisé, c'était à prévoir, ça m'a énervée terrible, je l'ai ramassé, j'avais une rage de volcan, je l'ai lancé une deuxième fois contre le sol, le verre a volé en éclats dans toute la cuisine.

Je n'ai pas sourcillé, je n'ai pas regardé l'amoureux, je suis allée m'attacher les cheveux, enfiler un pantalon, prendre mon sac, mettre mes chaussures.

Si je n'avais pas cassé le verre, je n'aurai pas pu sortir de l'appartement. Il m'aurait fallu une éternité pour retrouver le manège de mon humanité. J'ai choisi le verre et on est montés sur le vélo pour aller au marché.

Je n'étais pas fière. Mais soulagée.

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