Dimanche 5 avril 2009 à 8:59

C'était vendredi soir et ma chambre était dans un bazar sans nom. Ma maman m'a appelée de France et j'ai répondu. Nina devait arriver dans pas très longtemps et je voulais ranger un peu, mais j'ai répondu. Maman avait une migraine et ça faisait déjà trois fois que je la ratais, j'ai pensé que j'allais encore raccrocher et puis voilà. Et non, au diable la migraine, au diable l'heure tard du soir, on parle. Au bout d'un moment, elle a dit " Et papa ", et j'ai commencé à pleurer. Cela faisait plusieurs jours, une semaine même, que je n'avais pas parlé à ma mère, que je vivais sans vraiment avoir tous les petits détails de la nouvelle vie de mon père, que je savais où il en était, parce que ça n'avance pas vite, mais. Sans connaître au jour le jour les mots des infirmières, les visites, les. Sans savoir, vraiment, les choses infimes et immenses qu'il se passe dans cette chambre d'hôpital. Elle a dit " Et papa " et j'ai pleuré. Elle ne m'a pas entendu. J'ai pleuré en silence pendant vingt minutes peut-être jusqu'à ce qu'elle craque à son tour, à cause de la migraine et de la fatigue et. Je ne respirais plus depuis plusieurs éternités, je ne pouvais plus parler, j'étais bloquée des poumons, j'avais la tête qui tournait, il a bien fallu que je me mouche. Alors elle a compris que. Certains jours je me souviens qu'il est là-bas, d'autres j'oublie complètement. Elle disait des choses comme " Il a ouvert les yeux " " Il a bougé les lèvres comme s'il voulait parler " " On a lu Bonjour sur son visage quand on est entrées dans la chambre " " Il a souri à Augustin " " Il avait l'air contrarié quand j'ai dit que je partais " " Il a le regard présent, il nous suit des yeux ". Et j'avais l'impression qu'elle parlait d'un chien, ou d'un bébé, et je me disais non, ce n'est pas possible. Pas un chien. Elle faisait la liste de tout ça, de tous ces minuscules gestes qu'il fait, elle proposait des interprétations, des ressentis, et je me disais, non, ce n'est pas possible. Elle parlait de son apparence physique et des mots du médecin. Elle disait qu'il y avait des choses qu'on ne tolérerait jamais vraiment mais qu'on n'avait pas le choix, qu'il faudrait vivre avec. Elle disait qu'il devrait accepter de ne plus avoir de pudeur. D'être à nu, vulnérable, à découvert. Dans quelques jours je rentre en France et je ne sais pas si je vais avoir la force de retourner dans cette fichue chambre, je n'y suis allée qu'une fois, qu'une seule, j'ai peur, je. J'ai du mal à. Que les rôles s'inversent, que le miroir de la vie ait tout mélangé, que les enfants soient plus forts que le père, que. Je ne suis pas encore, vraiment, consciente que je parlerai plus jamais avec l'homme qu'il était avant. Qu'il aura, désormais, pour cette  vie entière et toutes celles d'après, un autre visage.

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