Vendredi 16 juin 2017 à 23:50

 " - Je n'aime pas vraiment les humains. "

C'est la nuit, il fait vent et frais, tu pédales dans les petites rues entre là-bas et chez toi et tu te demandes si tu as bien exprimé les choses. Est-ce que tu n'aimes pas les humains ? Tu réfléchis. As-tu mis assez de nuances dans ces quelques phrases ? Bien sûr que non, tu ne mets jamais assez de nuances. Nulle part. Ni dans le choix des couleurs, ni dans les éclats de rire, ni dans les jugements sur le reste du monde.

Tu as dit que tu n'aimais pas vraiment les humains et tu te demandes tout à coup si c'est vrai, ou si c'est juste une phrase que tu as pris l'habitude de dire.

Tu as dit que tu avais besoin de solitude, et ça, peu importe dans quel sens on le prend, c'est vrai. La solitude comme horizon. Et les humains, là dedans ? On les aime ? On les tolère ? On en a besoin, comme la variante d'une équation vitale ?

On aime les humains parce qu'ils te tirent à la vie. Ils te forcent à monter à la surface, à chercher la respiration, à garder la lumière allumée, à faire tourner le petit moteur du dedans. Mais c'est infiniment fatigant, aussi, à l'intérieur de moi, l'humanité. Être vivante et consciente, ça prend un énergie du tonnerre, ça défait sans cesse l'épiderme, ça vide les étagères. Il faut, éternellement, repriser le costume, remettre de l'épaisse douceur sous la peau, faire l'inventaire de ce qu'il reste et de ce qu'il manque. Et pour cela, il faut la solitude. Rien que la solitude.

Et tout à coup, on ne fait plus très attention, on marche trop à la limite - ma limite, on est allée trop loin, et les humains ont envahi le minuscule aéroport de ta tête. Il y a des humains partout qui chahutent et plus de place pour tes cerfs-volants, tes avions de papiers, tes bateaux échoués, tes promenades de tranquillité.

C'est là que tout chavire. C'est là, à ce moment précis, que tu recommences à ne plus aimer les humains. Ils apportent tempête et désordre et fatigue. Ils te cognent contre les bords et c'est désagréable. Quand ils parlent ça crie et ça fait mal. C'est là que tu fuis.

Tu as beaucoup fui. Longtemps et avec persistance, tu as fui.

Parce qu'il n'y avait nul espace pour la solitude. Parce que c'était une vie à toujours se frapper l'humanité, dans chaque seconde. Alors tu courrais d'un point à l'autre sans comprendre vraiment pourquoi, tu courrais pour ne pas être à proximité de ces gens qui avaient décidément un besoin fou de vivre tout autour de toi...

Maintenant, si on réfléchit bien, c'est différent, et pas seulement parce que tu as grandi. Oui, bien sûr, on apprend, on cherche un peu de paix, on tente de marchander avec la sagesse.

Mais surtout : tu as désormais ta tanière. Ton trou, ta grotte, ton nid, tu as tes clefs dans ton sac, et tu peux, toujours, rentrer chez toi et disparaître de la surface de l'humanité.

Remonter tout doucement tes horloges intérieures.

Alors désormais, ce n'est plus tant que tu n'aimes pas les humains,

c'est que tu as besoin, comme on compte les grains de sables, de regarder les exactes secondes que tu as en réserve dans ta boite à humanité, pour ne pas secouer cette boite là.

elle est belle et précieuse, cette boite à humanité,
c'est juste que la tienne a des limites très précises

et parfois, un peu fragiles.

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