Lundi 29 février 2016 à 23:39

Je crois que j'ai le fond de la tête qui a déraillé. J'ai un peu de mal à voir de quel côté la locomotive est tombée. Ça faisait longtemps je crois, que je n'avais pas été si... laissée seule avec moi, sans note d'explication. Comme si la voix douce qui m'accompagne, celle qui analyse et raisonne, celle qui me rattrape quand je suis trop amère, celle qui m'aide à sauver un peu de cohérence quand je vrille, comme si ma voix intérieure était partie faire un tour. Je crois qu'elle a oublié de me prévenir.

Cette semaine, j'ai eu deux crises de mutisme.

Je n'avais pas fait ça depuis Corny. Ça m'arrivait tout le temps avec lui, je me souviens si bien, c'était l'été dans notre chambre du 4ème étage, on était amoureux depuis quelques secondes de vie et je restais coincée des heures entières sans pouvoir parler, assise au bord du lit les bras croisés autour des jambes ou recroquevillée au fond d'un oreiller. Ça le rendait complètement fou. J'avais mal comme jamais. On finissait par se déchirer. 

Cette semaine, ce monstre de silence est revenu me visiter. J'ai un mécanisme dans le crâne qui a lâché, je ne sais pas depuis quand, je ne sais pas lequel, je ne vois vraiment pas d'où ça vient. Mais quand on a discuté, avec l'amoureux, de choses importantes, d'émotions négatives charriées par de petits événements, de l'attention que l'on devait s'essayer à porter à ces petits événements pour nous préserver et garder une communication saine, quand on a parlé de ces choses que l'on discute continuellement depuis tous ces mois que l'on est ensemble, quand on a fait ça, il y a quelque chose qui a perdu pied, un meuble de mon bon sens qui s'est noyé, un tiroir de ma raison qui est tombé dans un sable mouvant.

Et je me suis tue, quelques secondes. J'ai eu l'idée de quelques mots que j'avais envie de dire, et ils ne sont pas sortis. J'ai porté mon attention sur ces mots qui venaient de rester dans ma tête alors que je les voulais dans la pièce entre l'amoureux et moi, et c'est là que je l'ai senti. Une vague lente mais décidée, une vague, liquide, épaisse, opaque, qui, depuis le bas de mon ventre, remontait jusqu'à mon plexus solaire. Une remontée de ciment qui pesait une tonne. J'avais comme un engourdissement et une douleur diffuse. J'essayais de dire les mots que je voulais dire quelques secondes plutôt mais ma bouche restait fermée, comme si elle l'avait toujours été. Aux premiers mots venaient s'ajouter d'autres mots, ceux de la panique, il y avait des phrases qui commençaient à tourner très fort à côté de moi, écrites en noir, elles tournaient fort et la vase mutique continuaient de ramper pour me retrouver, pour me retrouver là où j'étais réfugiée : dans ma tête. Quand la sorte de boue a éteint ma gorge, j'ai eu des cris de pleurs coincés en travers, la sensation aiguë d'être emprisonnée et j'avais les yeux fous qui regardaient partout, sans s'arrêter une seconde sur quelque chose, comme si tout avait pu être une issue de secours mais que rien de l'était.

C'était comme une crise de panique de silence. La première fois, j'ai fini en pleurs, la bouche tordue dans le visage, j'ai vidangé toutes les pensées de mon corps dans le lit de l'amoureux avec une tonne de larmes. La deuxième fois, avant que la vague n'atteigne ma gorge, j'ai couru dans la cuisine et je me suis dise à dire des mots, n'importe lesquels, sans m'arrêter, pour ne pas perdre ma voix une seule seconde, pour ne pas laisser mes lèvres se coudre l'une à l'autre, j'ai dis des mots, le peu que j'avais encore dans les poumons, j'ai parlé parlé parlé aux murs, pour trouver une respiration, pour ne pas tomber, pour ne pas pleurer, j'ai chanté, j'ai chanté des chansons dont je savais les paroles, pour occuper ma tête avec un peu couleurs, pour tromper la douleur un instant.

Je crois que j'ai le fond de la tête qui a déraillé. Je suis sensible à des endroits où je n'ai pas l'habitude de l'être, je me brise pour un rien, je deviens excessivement amère quand je suis contrariée, j'ai les émotions qui partent dans tous les sens et un monstre de silence qui rode. Je ne devrais certainement pas en faire toute une histoire. Hier soir, j'ai tellement eu l'impression d'être folle, et l'effort que j'ai du construire pour rejoindre l'amoureux dans la chambre et recommencer à parler avec lui sans perdre pied, cet effort m'a semblé si gigantesque. Cette semaine, j'ai une fissure dans le plexus solaire et je crois qu'un vent a emporté mes bricolages moelleux, ceux qui, brodés sous ma peau, me rendaient humainement viable -

Cette nuit, j'ai dormi douze heures et demi.

La discussion continue ailleurs...

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