Samedi 14 juillet 2007 à 20:19

- Bonjour.
- Bonjour.
- Je viens pour pleurer.
- Ah.
- ...
- Euh, je vais avoir la 03h58 de libre, ça vous ira ?
- Oui.
- Renan, accompagnez mademoiselle s'il vous plaît. Allez-y, c'est au fond.
- Merci.
Elle s'assit devant une table ronde avec un napperon blanc. Ca tanguait une marée houleuse à l'intérieur. Elle se rendit compte qu'elle ne respirait plus. "Putain ça penche, dit-elle, on voit le vide à travers les planches" Personne ne lui répondit. Elle était seule. Ca ne venait pas. Elle avait le corps raide, la nuque douloureuse, les yeux secs et son coeur hurlait la noyage. Ca ne venait pas.
- Vous ne mettez pas vos feux de détresse ?
Renan s'était approché.
- Non.
- Il faudrait; pour que personne ne vous dérange.
- Vous voyez bien que je ne pleure pas.
- Ca va venir.
- Non.
- Ca vient toujours.
- ...
- Tenez, si je vous prenais dans mes bras.
Elle tressaillit, et cru passer par dessus bord.
- Venez contre moi.
- Non, non. Je... Mon coeur va exploser comme une vulgaire poche d'eau, je vais éclater en sanglots. Je, je ne veux pas vous éclabousser. Vous avez un joli sourire. Il faut que je boive mes larmes seule.
- Et si je faisais miens vos pleurs...
- Evidemment.
- Evidemment ?
- Evidemment, je serai plus légère.
- Alors venez. Venez danser avec moi.
Elle se raidit encore davantage et sentit une décharge lui courir tout le long du dos et lui abîmer chaque vertèbre.
Un fantôme qui sort d'hibernation est poussé par une faim vorace. Ses fantômes à elle venaient de se réveiller.
Elle sentit son esprit qui s'abandonnait, qui se liquéfiait doucement, ça lui faisait comme une flaque au-dedans. Mais elle avait le corps tellement courbaturé que ça ne venait pas, c'est à peine si les fantômes réussissaient à saccader sa respiration et à secouer ses épaules. Elle sanglotait de l'intérieur, et rêvait d'être un mollusque. Un mollusque qui pleure. Ca lui faisait tellement mal partout dans le dos et dans les jambes et dans la nuque, c'était lourd, ça pesait comme du béton. Elle rêvait d'être un carré de chocolat qui fond sous le soleil et s'abandonne à la chaleur.
Mais elle était assise sur sa chaise à écouter les pleurs ruisseler contre sa peau, à sentir les fantômes lui lacérer la chair.
Renan vit tout cela et s'approcha.
- Ca va aller.
- Non.
Elle osa s'abandonner un court instant sur son épaule, le parfum de ses cheveux lui fit sourire tendrement le coeur, et le contact avec sa peau fût comme un baume sur sa douleur. Elle aurait voulu être un iceberg qui fond entre ses bras, et qu'il la retienne doucement,
- Je reviendrai.
- Je sais.
- J'y arriverai.
Elle respira une dernière fois ses cheveux, traversa le salon sans se retourner; le vent dehors balançait son corps, elle se sentait fragile et vulnérable, comme une tombe ouverte et visitée par le jour, elle ne se sentit plus la force de lutter et attendit que le ciel fasse d'elle une survivante. Elle en voulait tellement à son corps de se refuser aux larmes, la colère lui faisait comme un orage dans les yeux. Le ciel tournait au dessus des arbres et perdait dans leurs feuilles de lourds nuages noirs. Les troncs se fendaient, les écorces s'émiettaient. Elle commençait à avoir peur, elle sentait bien qu'elle n'était plus capable de rien. La panique lui frissonait la peau, elle voulu appeler au secours mais ses lèvres restèrent muettes, elle fouilla du regard autour d'elle pour trouver un soutien, mais elle était seule. Seule sous le ciel prêt à la dévorer. Elle lâcha prise et se soumit à lui, sentant les courants d'air qui prenaient d'assaut son visage.
- Mademoiselle, mademoiselle !
Elle ouvrit les yeux et le vit. Il la prit par la main, l'aida à se lever.
- Venez vite, vite... Vous pouvez courir ?
Il passa son bras autour de ses épaules pour la protéger  des nuages. Il traversèrent plusieurs rues et s'abritèrent dans la cour d'un immeuble. Il ouvrit une porte, et l'aida à entrer dans un petit appartement. Elle ne vit pas ce qu'il y avait autour d'elle, mais s'effondra dans ses bras, et se mit à pleurer, enfin, à pleurer, à pleurer. Elle sanglota son corps tout entier, chassa les fantômes loin de son coeur, tandis qu'il lui murmurait des histoires dans le creux de l'oreille pour la garder avec lui. Elle pleurait, elle pleurait.

La discussion continue ailleurs...

Pour faire un rétrolien sur cet article :
http://clignotants.cowblog.fr/trackback/2078992

 

<< Aujourd'hui | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 | 10 | Quand on était plus jeunes >>

Créer un podcast