Jeudi 11 février 2010 à 18:23

Je n'aurai jamais cru que ce trajet de s-bahn aurait tout de même son lot de merveilles minuscules. J'étais assise depuis plusieurs stations pas loin d'un jeune type assez détraqué, qui à la longue, aurait pu fiche la trouille. Il y avait juste devant moi deux demoiselles trop maquillées et sans intérêt, avec ces inflexions de voix qui paraissent toujours porter une agressivité sourde. Et puis de l'autre côté de l'allée, une femme âgée à la peau du visage si terne que j'aurai pu pleurer pour elle. Malaise accroché à l'estomac.

Mais il est monté. Lui, homme d'une soixantaine d'année, bonnet qui ne laisse pas deviner les cheveux, regard profondément bleu, teint clair, un air doux de marin. Il a tourné une fois sur lui, a pris la fenêtre à témoin, a fait une petite grimace et s'est assis. On ne pouvait pas se voir pour de vrai, mais comme il était quand même face à moi, la nuit et les éclairages du wagon nous ont fabriqué des miroirs. Je ne lui avais pas du tout trouvé des airs de héros, mais j'ai planté mes yeux dans son visage. Juste comme ça, j'attendais une suite à l'histoire, je voulais mieux le connaître, le regarder et me faire des idées. Imaginer. Je ne pensais vraiment pas à mal, je n'avais pas l'intention d'entrer dans ses pensées.

Mais il a croisé mon regard. A sautillé l'instant d'après vers un autre horizon. Est revenu. Moi, je ne cillais pas. Et puis, ça a été infime. Tellement infime que ça aurait pu n'être qu'une impression, un jeu de lumière ou une ombre dehors. Pourtant, j'ai vu ses lèvres fines s'étirer lentement. J'ai attendu. Il a sautillé vers un autre horizon. Est revenu. Et cette fois, ça lui démangeait tout le visage, un sourire qui commençait à lui grignoter le haut des joues, et je me suis sentie prise au piège, condamnée, contagion immédiate, j'ai essayé de rester sérieuse, c'est toujours frustrant de ne pas pouvoir faire durer les choses, je voulais résister, et puis il m'a regardée là dans nos reflets et m'a souri vraiment, souri très grand, souri comme quelqu'un qui est content.
Et paf, j'ai éclaté de rire.

Après, on s'est repris un peu, on a regardé tous les deux un peu partout ailleurs. On a essayé d'enfiler des visages de gens silencieux. Je crois qu'on aurait vraiment pas tenu longtemps, alors ça tombait bien que le train ralentisse et que je doive descendre. Je me suis levée et j'ai fais deux pas vers la porte, je lui tournais le dos. Ces moments là ne durent jamais que dix ou vingt secondes et semblent pourtant sans fin. Je savais qu'il fallait que je me retourne au moment de sortir. C'est toujours difficile, de faire une rotation 90° du regard, l'élan vers la sortie et la retenue en arrière, ça ne marche pas à tous les coups. Je me suis concentrée pour ne me tromper nulle part, et je me suis retournée quand les portes se sont ouvertes et que.
Il m'attendait, évidemment. Avec un sourire aussi beau que celui qui m'avait fait éclaté de rire, et puis aussi un malicieux salut de la main et un hochement de tête. Je me suis contentée du hochement de tête parce que niveau coordination j'allais faire n'importe quoi,

mais il était clair, que là, entre deux stations, en moins de cinq minutes, on avait partagé un peu d'amitié et d'estime. J'ai sauté dans les escalators avec mon ballon rouge aux trousses, et évidemment, cela va de soi, j'étais heureuse.

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