Mardi 24 mars 2009 à 10:08

Hier.
Depuis le matin je mâchouillais du noir, je mordillais des larmes que je ravalais tout le temps. J'ai tenu jusqu'au soir, distraitement. J'ai fais à manger n'importe comment, me suis assise à table et. Sur le mur d'en face il y a le calendrier. Pendant tout le repas, j'ai joué à sauter du 23 mars au 26, je n'écoutais pas leurs voix, je sautillais du 23 au 24 au 25 au 26, j'étais ailleurs, j'enjambais trois jours en pensant un mois. Je faisais des calculs des comptes je prenais l'avion je revenais en France je repartais en nuages je voyageais en ciels maussades. Marie m'a regardé dans les yeux et m'a dit «Qu'est-ce qu'il y a dans ton cœur, Margot ?» je me suis concentrée sur mon verre et j'ai fait silence, le silence a duré comme ça, Marie l'a à nouveau rompu «Je faisais une prière dans ma tête pour ton papa». Sa phrase m'a vrillé le ventre, ça a fait un gouffre dans mon plancher, un syphon sous ma chaise. Je me suis levée, j'ai pris deux assiettes au hasard pour les mettre dans le lave-vaisselle, m'éloigner d'un mètre juste le temps de respirer, de reprendre contenance. Et la main contre l'évier j'ai senti que tout foutait le camp, je me suis rendue compte en une demi-seconde que ça n'allait plus du tout du tout du tout. Le dos tourné j'ai dit «Ich muss aufs Klo» et j'ai pensé weinen, weinen, weinen, weinen, je suis sortie de la cuisine, je les ai laissés, j'ai traversé les escaliers, le temps d'arriver tout en haut devant ma porte je pleurais.
Et je suis restée là, des heures je crois, dans l'obscurité, contre le radiateur, à pleurer pleurer pleurer, à p
enser trois jours et puis un mois, avec le mascara qui devait me faire des dessins sur le menton, et je pleurais ce corps à l'abandon, ce corps maltraité abîmé ce corps qui joue à vaincre la vie, à la réduire en miettes, à l'assomer de coups à la tête, à l'étrangler par derrière. Et je pleurais mes silences, mes peurs, mes angoisses, mes barrages, mes barricades, mes égoïsmes, mes méchancetés, et je pleurais d'être loin, et puis d'être seule, et puis de ne pas savoir aimer, et de ne pas savoir donner. Je pleurais ces trois jours qui me fichent une trouille incommensurable, quelque chose comme un monstre, un cauchemar, je pleurais de me dire
Tiens, un mois qu'il n'est plus là. Qu'il n'existe pas. Qu'ils le gardent là-bas. Un mois déjà qu'il n'a pas bougé, pas parlé, une mois déjà qu'il vit de morphine, d'antibiotiques, de fluidifiants. Un mois que son coeur bat toujours et que tout le reste se détraque lentement.
Et j'ai pleuré tous les pleurs que je n'avais pas pleuré, avant.
Depuis, je me sens pastel. Les larmes ont arrondi les contours, adouci les angles, poli les reliefs.

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